Monsieur le premier ministre [François Legault], nous unissons nos voix aux bâtisseurs de l’habitation sociale et communautaire et souhaitons que la crise du logement s’ajoute aux priorités du gouvernement du Québec. Lors du discours inaugural de la nouvelle session parlementaire, vous n’avez prononcé que deux fois le mot « logement » pour souligner que sa surenchère contribue très fortement à l’augmentation du coût de la vie.
Mais rien de plus sur la crise du logement, qui touche tous les secteurs d’activité, toutes les régions, tous les employeurs à la recherche de main-d’œuvre et, surtout, qui fragilise le tissu social de nos communautés.
Alors que vous en appelez à la solidarité pour apporter des changements importants à notre société et nous projeter dans l’avenir, il nous est impossible d’imaginer d’en arriver à une « cohésion sociale » si plusieurs centaines de milliers de familles du Québec sont forcées de louer un logement trop cher, insalubre ou inadéquat. Déjà, avant la pandémie, 244 120 ménages en souffraient, et ce nombre a grandement augmenté durant la pandémie.
Nous avons beaucoup parlé des problèmes de santé qui découlent d’une trop grande proximité, de l’incapacité de se nourrir correctement, de devoir surmonter parfois des barrières architecturales rendant le quotidien complexe, etc. Le programme AccèsLogis a été davantage orienté vers les plus défavorisés de notre société, vers les clientèles à besoins spéciaux. Or, le problème du logement s’élargit à la classe moyenne du Québec. On parle du logement abordable, mais pour qui ? Le prix des loyers s’emballe. Déjà en 2020, selon les chiffres de la Société canadienne d’hypothèques et de logement, dans le Grand Montréal par exemple, le loyer moyen était en augmentation de 4,2 % par rapport à l’année précédente – sa plus forte augmentation depuis 17 ans. Vous souhaitez augmenter le salaire moyen au Québec. Les revenus pourront-ils vraiment suivre, année après année, l’accélération de l’augmentation des loyers ? L’augmentation des mises en chantier ne suffira pas, à elle seule, à inverser la tendance.
Pour résoudre durablement la crise du logement, la solution doit inclure un mode d’habitation complémentaire qui échappe à la seule logique spéculative.
De grandes métropoles ont une part importante de leur population qui vit dans des logements abordables pour toutes et tous et donc hors du marché privé. L’exemple de Vienne a été exposé récemment dans nos médias, où 60 % de la population, ayant différents revenus, vit dans des habitations à but non lucratif, dans des appartements adéquats, pour un prix qui permet une bonne qualité de vie. On y construit annuellement, en moyenne, 7000 logements protégés de la spéculation pour un avenir meilleur.
Pour répondre aux besoins actuels, le Québec a depuis longtemps son modèle de logements sociaux, communautaires et coopératifs qui est fonctionnel, mais qui tourne au ralenti, faute de financement adéquat. Par exemple, les membres de l’Association des groupes de ressources techniques du Québec ont présentement 180 projets totalisant 10 000 logements qui ont besoin de financement immédiat. La population du Québec a besoin que votre gouvernement finance davantage des modèles d’habitation alternatifs. Regardez les alternatives au logement privé, les modèles des coopératives d’habitation pour les familles, les personnes seules et les aînés, celles des étudiants que le groupe UTILE développe dans les villes universitaires, les logements destinés aux personnes âgées et principalement réalisés par le Réseau des OSBL d’habitation, du logement de SOLIDES en Montérégie, de la SHAPEM à Montréal, pour ne nommer que ceux-ci. Vous en trouverez partout au Québec.
Nous vous demandons d’écouter ceux qui sont sur le terrain, ceux qui sont proches de l’action : les municipalités, les communautés, les employeurs et les organisations qui, depuis 50 ans, développent le parc de logements de l’économie solidaire. Nous sommes au front de la crise du logement. Se tourner vers l’avenir, c’est éviter à tout prix l’immobilisme, c’est explorer comment nous pouvons faire les choses autrement.
Les conditions de logement sont et demeurent un des indicateurs les plus probants des inégalités sociales au sein de notre société. Pour plus de cohésion sociale, bâtissons des logements vraiment abordables à plus grande échelle. Au chantier de l’électrification des transports, ajoutez celui de construire plus de logements sociaux administrés par des coopératives, des organismes sans but lucratif ou des offices municipaux d’habitation, puisque ces trois modes de tenures font davantage que d’offrir des logements : ils offrent des lieux où les ménages s’épanouissent davantage, où beaucoup font une première expérience de citoyenneté active. Un plus large bassin de logements à prix abordable qui puisse répondre aux besoins d’une plus grande partie de la population, d’un plus grand nombre de familles. C’est aussi ça, un Québec plus riche, des Québécois plus riches, en cohésion sociale.
* Cosignataires : Marie-Josée Paquette, directrice générale du Conseil québécois de la coopération et de la mutualité ; Béatrice Alain, directrice générale du Chantier de l’économie sociale ; Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville ; Alain Marcoux, président de l’Association des groupes de ressources techniques du Québec ; André Castonguay, président du Réseau des OSBL d’habitation ; Véronique Laflamme, porte-parole du FRAPRU ; Jacques Côté, président de la Confédération québécoise des coopératives d’habitation.
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